Cela fait plus de 30 ans que j’ai en tête un système de jeu d’aventure qui favoriserait l’action individuelle : les Héros peuvent être séparés sans casser le rythme de la partie. Il fallait que la résolution des actions soit fluide plutôt que de tenter vainement d’être « simulationniste ». Je souhaitais également que l’aventure soit vivante.
Mais pour éviter d’avoir recours à un meneur de jeu (jeux de rôles) ou à un overlord (Héros Quest) il me fallait une I.A. élaborée qui remplacerait efficacement un animateur/adversaire. C’est pourquoi Soul Raiders est un jeu 100% coopératif. Pour renforcer cette coopération et éviter qu’un joueur soit éliminé durant une partie, les Héros ne sont pas dotés de points de vie individuels. Dans Soul Raiders lorsqu’un Héros est blessé, c’est le groupe de Héros qui subit la perte de vitalité (vitae) et ses conséquences à terme.
Pour l’I.A. j’ai d’abord conçu les ennemis possédant une capacité représentée par un pictogramme les rendant à la fois vivants et différents. Certains vous empêchent de vous enfuir, d’autres vous poursuivent toujours…
Chaque rencontre est un défi lancé aux joueurs ! Après beaucoup de tests infructueux, j’ai créé les Lieux sous forme de grandes fiches. Contrairement aux plateaux modulaires que l’on retrouve dans beaucoup de jeux, les fiches Lieux ne s’assemblent pas. Ce n’est pas un bug, mais une volonté d’auteur. J’ai favorisé l’immersion et volontairement égaré les joueurs dans une sorte de dédale. Les pictogrammes à appliquer à l’entrée du Lieu sont l’expression du scénariste. Au-delà de la brève description qui rajoute une ambiance à l’illustration, tout ce qui se passe ou qu’il est possible de faire est consigné sur la fiche sous forme de flèches pour les déplacements, de parchemins pour les actions scénarisées, de pictogrammes pour l’action et la réaction du jeu.
Fini les monstres qui attendent gentiment derrière les portes d’un donjon ! Dans Soul Raiders tout est scénarisé. Mais contrairement aux « livres jeux », le déroulé d’une aventure n’est pas linéaire. Les Héros vaquent où ils veulent et reviennent sur leur pas si besoin. Dans ce cas, le Lieu est retourné sur sa face B offrant quelques surprises aux joueurs.
Les ennemis scénarisés sont spécifiques à chaque Chapitre et sont directement liés au scénario comme les cartes récits. Ces dernières, lorsqu’elles doivent être conservées par le joueur sont la mémoire courte d’une partie. Elles agissent comme des clefs virtuelles qui ouvrent de nouvelles perspectives durant la partie.
Chaque Chapitre est composé de Lieux, ennemis et récits spécifiques. Ils représentent des environnements uniques offrant chacun une bonne rejouabilité, d’autant que les joueurs sont dotés en début de tour de cartes « action » tirées aléatoirement. Ainsi, en rejouant un Chapitre et à situation similaire, vous ne pourrez pas faire les mêmes choix. Les cartes quêtes sont conservées de Chapitre en Chapitre. Elles sont la mémoire à long terme du jeu et permettent de lier les Chapitres : un allié rencontré qui vous aidera dans un autre Chapitre, un objet qui trouvera son utilité au dernier Chapitre, etc.
Mais le système de jeu Running Quest c’est aussi la gestion des actions des Héros. J’ai opté pour des cartes « action » qui représentent chacune une valeur et, soit un bonus spécifique (déplacement ou combat), soit un sortilège. La main de cartes permet des combinaisons à foison. Les joueurs devront optimiser leur choix comme des ressources dans un jeu de gestion. Il n’y a pas de notion d’échec d’une action. Il n’y a donc pas de frustration négative pour le joueur d’avoir tenté vainement une action et perdu un temps précieux. Car dans une partie de Soul raiders le tempo est important ! A chaque fin de tour le stress des Héros leur fait perdre des points de Vitae (vitalité du groupe).
Pour compléter le mécanisme de Running Quest, il y a un plateau de jeu composé d’une piste de vitae, une piste de menace et l’emplacement pour deux évènements scénarisés spécifiques à chaque Chapitre. Les deux pistes (vitae et menace) augmentent la difficulté du jeu. L’une fait perdre des cartes action au fur et à mesure que les Héros sont épuisés (vitae) et l’autre augmente le nombre d’ennemis aléatoires rencontrés. Cette combinaison génère une tension palpable par les joueurs au cours de la partie et crée une sensation d’affaiblissement et de submersion assez réaliste.
Si au début de la partie les joueurs ont quatre cartes action en main, lorsqu’ils n’en ont plus que trois, chaque joueur ressent dans ses tripes l’affaiblissement de son Héros. Ajoutez à cela un nombre croissant d’ennemis lorsque ce dernier est en alerte maximale, vous obtenez une montée en puissance qui heureusement peut être compensée par des actions héroïques qui donnent une dimension épique à vos parties. Les Héros sont aussi des magiciens. Ils sont dotés de sorts de combat, mais également de sorts tels que la création de portails de téléportation qui permettent de se regrouper sur un même Lieu ou revenir sur un Lieu éloigné. Le plus difficile à traiter a été le sort « invisibilité ». Tous les Soul Raiders maîtrisent ce sortilège et je vous laisse imaginer le plaisir que ce sort procure aux joueurs rusés !
Soul Raiders ne ressemble à aucun autre jeu. J’ai commencé à travailler sérieusement sur le système dès 2011. J’ai passé six années à créer le système de jeu, 4 années pour créer l’univers, les scénarios et peaufiner le tout. Beaucoup de jeux narratifs sont sortis entre temps, mais la majorité d’entre eux n’étaient pas en gestation lorsque j’ai commencé. Soul Raiders ne répond pas à un phénomène de mode, et n’est pas inspiré par d’autres systèmes de jeu. Mais il est l’expression de mon désir de créer un jeu qui mêle l’esprit d’un jeu de rôle associé à la mécanique irréprochable d’un jeu de société moderne. Ce n’est pas le plus narratif parmi les jeux narratifs. Lorsqu’une porte verrouillée s’ouvre, c’est l’illustration qui change et révèle une nouvelle action de déplacement. Pour des raisons de gameplay elle est rarement accompagnée d’une description. Les pictogrammes sont autant d’instructions destinées aux joueurs qui forment un récit qui lui non plus n’est pas écrit. Le gameplay est au coeur du système Running Quest. Il procure des sensations épiques, une optimisation des cartes actions, la liberté d’agir individuellement, des tours de jeu fluides, une réaction du jeu vivante et une bonne rejouabilité.